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Athéisme et laïcité


 
Table ronde du 4 décembre 2023 Abbaye du Mont-Saint-Michel

Que les athées soient invités à parler de laïcité me semble aller de soi, et pourtant, nous fûmes rarement conviés à débattre de ce sujet. Craignait-on une pensée laïcarde bêtement anticléricale ? Je ne sais.

Je me réjouis plutôt de rencontrer des représentants des cultes, avec lesquels je partage à l’évidence l’humanité. Quelles que soient leurs croyances, c’est dans leurs actes que je reconnais mes amis.

La loi de séparation des églises et de l’état et ses évolutions, traitant de la laïcité, est une loi de liberté. L’égalité devant la loi étant établie par ailleurs par l’article premier de la déclaration des droits humains.

C’est la liberté de conscience qui est ici en jeu et les pratiques religieuses qui y sont attachées.

Cette loi est très largement libérale en ce qu’elle va jusqu’à laisser aux croyants la possibilité de prendre des jours de congés pour célébrer les fêtes religieuses qui sont nombreuses. Ces fêtes qui favorisent l’attachement à la doctrine et à la communauté qui la porte sont des moments importants pour les institutions religieuses. Les athées, souvent, en gardent des souvenirs plaisants qu’ils soient de culture catholique, juive, protestante, musulmane ou autre.

La célébration des fêtes participe à la création des liens sociaux au-delà des cercles communautaires, car c’est souvent l’occasion d’un large partage.

Hélas les fêtes religieuses n’ont pas laissé dans l’histoire autant de traces que les guerres.

Que l’on remonte à l’épopée de Gilgamesh, que l’on passe par l’Égypte ancienne, théocratie pharaonique, où naquit le monothéisme avec le culte d’Hamon Ra, on ne voit que guerres, crimes et malheurs.

La bible, formidable roman d’héroic fantasy, est une longue litanie de violence et de meurtre. La chrétienté ensuite nous livre l’image d’une humanité déchirée, pleine de haine, les bûchers de l’inquisition, les pillages des croisades, ont nourri les livres d’histoires. La vie de Mohamed est elle aussi une longue suite de guerres prosélytes.

Guerres qui se poursuivirent longtemps, jusqu’à la défaite de la reine juive berbère Kahena contre les Omeyades qui signa l’islamisation du Maghreb.

Encore de nos jours, on ne peut que se lamenter de l’état du monde. La violence y fait rage et la religion tient sa part sur la plupart des terrains de guerres, et j’en ai parcouru un bon nombre en tant que médecin.

J’entends bien vos arguments sans cesse rabâchés que les guerres ne sont pas que le fait des religions. Certes, je sais bien que la violence de l’humain n’est pas due à un quelconque dieu ou être supérieur, vous vous en doutez.

Je ne connais pas de religion ou de philosophie qui prêche le meurtre et la guerre. Elles disent toutes, en substance, qu’il ne faut pas tuer son prochain ?!

Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles ont échoué à chasser le penchant belliqueux de leurs ouailles. Comment en serait-il autrement quand les ministres de leurs cultes sont bien souvent eux même à la source de toutes ces turpitudes. Je ne parle pas seulement des actes criminels commis à titre personnel et bien souvent cachés par les hiérarchies, mais aussi des incitations à la haine. Ne voit-on pas l’Église orthodoxe russe soutenir la guerre contre l’Ukraine ? J’ai vu, pour ma part, les moines bouddhistes du Sri Lanka, vivant dans l’opulence des offrandes de leurs fidèles, attiser leur haine contre les hindouistes tamouls dans une guerre civile d’une barbarie indescriptible. Certains imams et certains rabbins prêchent la guerre sainte, concept hautement condamnable, et la liste pourrait remplir bien des pages.

Je trouve là, matière à discrédit envers les institutions religieuses, pour prétendre intervenir dans la conduite de la chose publique. Dans l’organisation sociale pour le bien de tous, il ne peut y avoir d’autres recours que celui de la raison et de la science, dont les prescriptions, bien qu’imparfaites, peuvent faire consensus.

La loi de séparation des églises et de l’état ne dit rien d’autre, sans pour autant aborder la question de l’existence de Dieu.

La croyance, par nature incontestable, ne peut permettre la vie commune. La science, par nature contestable, a, seule la neutralité nécessaire. La raison n’a rien d’un culte. Elle dicte d’admettre que ce n’est pas parce que je ne peux pas expliquer certains phénomènes qu’il n’y a pas d’explication. Rappelons que malgré tout, « elle tourne » malgré les allégations fantaisistes des croyants d’autres époques.

Les religions ont toutes eu des visées hégémoniques, et la crainte de la théocratie n’a rien de fantasmatique. Qu’est-ce qu’un état qui se réclame d’une religion et dont le roi est aussi le représentant suprême de l’institution religieuse, si ce n’est une théocratie ? Qu’est-ce qu’un état qui se réclamant d’une religion, ne reconnaît que le mariage religieux, sans même l’existence d’un mariage civil, si ce n’est une théocratie ? Qu’est-ce qu’un état ou la religion officielle s’impose à tous, sous peine de mort, si ce n’est une théocratie ? Tous les cultes ont tenté, peu ou prou, d’imposer leur pouvoir et la loi sur la séparation est, enfin, venue libérer l’homme du joug de l’obligation de croire.

Si chaque religion a eu à subir des discriminations et des massacres, ce ne fut que temporaire, contrairement aux athées qui ont, de tout temps, cristallisé contre eux la haine des croyants.

L’athéisme n’étant pas une croyance, mais bien au contraire la négation de toute croyance, il n’est pas surprenant qu’une union sacrée des religions se soit faite contre lui.

Les écrits athées ne sont pas nombreux, et pour cause, revendiquer son incroyance fut longtemps, et encore maintenant dans de trop nombreux pays, synonyme de mort. En France même on eut à déplorer en 1763, le meurtre du chevalier de la Barre, condamné pour impiété, à avoir les os brisés sur la roue, être écartelé avant d’être pendu ! Dans sa bonté, le bourreau abrégea ses souffrances en lui tranchant le cou.

À peine plus d’un siècle avant la loi de Séparation.

Mes amis penseurs catholiques, ont encore bien du mal à reconnaître le caractère fondateur du traité de l’abbé Meslier, curé d’Etrépigny, dans les Ardennes, qu’il rédigea durant sa vie sacerdotale, pour le confier à l’édition post mortem. Au 17e siècle, son sacerdoce eut été grandement abrégé s’il avait exposé son point de vue, à ses paroissiens.

On ne peut établir l’existence des athées qu’en négatif, par les écrits des penseurs religieux. On ne se bat pas avec une telle énergie contre ce qui n’existe pas ! Et les écrits sont nombreux et énergiques.

La loi de Séparation est donc pour les athées un moment historique où la parole a pu se libérer. Vous comprendrez donc pourquoi nous y sommes si attachés.

Et tant pis si, comme le montrent les statistiques, le fonds de commerce des institutions religieuses s’appauvrit.

Au-delà de l’incapacité des religions à apaiser le monde, il ne semble pas qu’elles puissent proposer une explication rationnelle sur laquelle construire une société plurielle.

Chaque théologie prétend à l’universel, mais c’est à l’évidence un universel multiple si l’on en juge par les quelque 10 000 religions recensées dans le monde.

Les institutions religieuses sont chargées de définir les règles de vie de leurs paroissiens. Cette définition se fait sur la base de croyance dépourvue de toute rationalité et qui ne peut en aucun cas faire consensus contrairement aux vérités établies par la science. Celles-ci ne fournissent pas encore une explication totale du monde, mais chaque explication peut être acceptée par tous. On a mis au bûcher ceux qui avaient le front de prétendre que la terre était ronde et qu’elle tournait autour du soleil, mais la chrétienté a bien fini par admettre cette vérité scientifique. Il reste encore des mouvements religieux pour affirmer que la vérité est dans les textes sacrés. Darwin aurait fini au bûcher sans aucun doute s’il était né un ou deux siècles plus tôt. Le créationnisme n’a cependant pas disparu. Le coran est aussi source de posture très dogmatique du même ordre.

Les contorsions théologiques permettent progressivement d’adapter les dogmes aux nouvelles connaissances scientifiques, mais ça ne suffit pas aux croyances religieuses à pouvoir prétendre à l’universalité dont nous avons besoin pour définir un modèle de société où chacun puisse s’épanouir sans crainte, quel que soit son sexe, son genre, sa croyance ou son incroyance.

Et les règles de la vie en société ne peuvent être autres que celles de l’état. Parfois même au sein de l’intimité familiale quand les règles religieuses mettent en danger la paix sociale.

Dieu reste une hypothèse, hautement improbable, mais surtout inutile pour l’organisation sociale.

En conclusion, l’athéisme n’est point source de haine, et ne se repaît pas des ministres du Culte. Il est source de concorde et de partage, reconnaissant en chacun sa part d’humanité. Il fait sien le principe du premier article de la déclaration des droits humains et propose une construction sociale sur cette base.

Il demande aux croyants de respecter ce principe et de garder dans l’intimité de leur esprit leurs choix éthiques. Il peut être difficile, quand on est croyant, d’exercer une charge élective dans la neutralité, comme une fonction pédagogique, mais c’est un exercice qu’impose la loi de Séparation.

L’éthique athée prend en considération le bien commun sur des bases rationnelles. Je suis révolté de voir que sous l’influence des religieux, principalement évangélistes, les États-Unis ont renoncé au droit à l’interruption volontaire de grossesse qui permet de sauver tant de vies. La légalisation de l’IVG n’impose à personne d’y avoir recours, laissons le choix à ceux qui ne partagent pas les mêmes convictions de mener leur vie. C’est le sens de la loi de Séparation.

On peut pareillement parler de l’accompagnement de fin de vie, de la procréation médicalement assistée, autant de sujets éthiques sur lesquels les croyants ont des points de vue qui, tout en étant parfaitement respectables, n’ont pas vocation à s’imposer à la collectivité. C’est encore le sens de la loi de Séparation.

Néanmoins, la loi de Séparation et la laïcité qui en découle concernent les institutions religieuses et pas les individus, qui gardent leur entière liberté de conscience. L’expression de leur conviction n’étant contrainte dans le cadre de la loi que quand elle met en jeu la neutralité des services publics.

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